Nous sommes entrés dans l’ère de la confusion. Entendons-nous bien : confusion n’est pas désordre, bien au contraire la confusion est ordre. Et quel ordre, inflexible, invisible, innommable, irrepérable (du moins vise-t-il à l’être). Jamais identifiable, toujours ailleurs et partout insaisissable. Sauf par inadvertance. Alors soyons inadvertants et sachons simuler l’indifférence, ou mieux l’acceptation de ses stratagèmes pour la voir en action et la surprendre en flagrant délit.
« Ecologie » : un seul mot pour plusieurs plans de l’activité humaine et de nos mentalités: une science véritable, un ensemble de motifs d’inquiétude, un discours pratique voire prescriptif et un « arsenal » politique qui traduirait celui-ci dans les pratiques. L’actuelle confusion, comme toujours, profite à certains qui n’ont, pour le moins, rien « d’écolos » justement, tels ces « bad guys » devenus (avec des gains colossaux) « green-washers » !
Mais pourquoi donc chacun des « partis » n’a-t-il pas un volet de son programme consacré à cet aspect de la vie ? …
Un colloque interroge le statut de l’écologie dans les mentalités : « L’écologie est-elle une science ou une religion ? » (Voir l’article de Bérengère Hurand dans Le Nouvel Observateur – Le Plus )…
Pour ce qui est du religieux et de la sacralité, du « numineux » qu’inspire la « Nature » c’est bien difficile en effet de se faire une opinion tranchée.
Mais pour ce qui est de l’appartenance épistémologique il n’y a pas photo. En tout cas pas pour ce qu’il est convenu d’appeler « écologie » dans les médias, dans les sphères économiques et politiques : tous ces discours « écologiques » sont sans la moindre exception de nature prescriptive et souvent culpabilisateurs donc nourris à une axiologie voire à des séries de choix éthiques.
Qui aurait cru que la Nature pût devenir un objet de mode ? Dès que l’humain, mieux protégé, pour un temps, au fond de villes et cités où il n’avait plus tant à craindre les loups et le froid que les rats et ses semblables, Rousseau et ses épigones inventèrent une bien aimable Nature revisitée mise au service de toutes les absences, fétichismes du vide et utopies.
L’écologie, naguère encore, facette de la science, tenait un discours rationnel. Depuis, elle est comme « entrée en religion » et comme l’Eglise autrefois, est également entrée en politique. Naissait alors l’écolâtrie, hélas plus soucieuse d’imprécations et de pouvoir que des fiantes industrielles. Apparut ainsi un nouveau naturalisme pervers feignant la nostalgie : voyez la volupté « puritaine » qui anime ceux qui jubilent dans leur rôle d’imprécateurs, de culpabilisateurs : les chantres, grands-prêtres et verts gourous de l’Ecolâtrie. Mais …
Tout de même, par-delà leur exécrable (et pathétique) jubilation … ont-ils vraiment tort sur le fond ?
Ce serait bien agaçant qu’il n’aient pas tort du tout ces imprécateurs-là ! Et qu’ainsi ils nuisent considérablement à une cause des plus justes.
Tout devrait nous inspirer de l’enthousiasme, voire de la ferveur en ces domaines… et pourtant, d’aucuns, non sans raison, semble-t-il insistent pour que nous montrions plus que de la vigilance. Quels sont les enjeux et qu’est-ce qui, en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC), commande la vigilance voire la défiance ? Résister au progrès ? Vous n’y songez pas. Alors comment se tenir à égale distance des enthousiasmes naïfs ou marchands et du dénigrement diabolisant ?
Les TIC concernent toutes les organisations humaines de par l’outil de diffusion, de circulation de l’information et de prosélytisme militant qu’elles peuvent constituer. C’est pourquoi elles ne laissent aucun groupe, chapelle ou faction indifférent. Elles peuvent contribuer à l’organisation, ou, par le biais des forums, représenter un lieu de débat, de « discussion ». Tout ceci est évident, mais la chose est-elle sans risque et sans coût, sans contrepartie aucune? Quel prix, quels risques, quels renoncements, quelles garanties ? Incontestablement, ces techniques présentent des aspects très positifs, mais cela suffit-il à en justifier l’emballement ?
Observons les mutations en termes gestion des simulacres. Les succédanés de communication auxquels on commence à aboutir sont caractérisés par une mise en retrait du message. Ce qui s’y perd, s’y érode c’est sa richesse et sa diversité qui ne s’apprécient que par la mise en valeur de la « saveur lente » à laquelle il invite. Richesse et profit sont effacés au profit de la célérité de la diffusion, de l’immédiateté de l’accès. La priorité est donnée à la vitesse et à la volupté technicienne de la connexion, des enclenchements. La technique, en effet, est toujours prompte à accaparer le plaisir.
René Girard montre par ses analyses au long cours à quel point les groupes humains sont contraints de se ressourcer régulièrement dans une pureté originelle. C’est ce qui les conduit à élaborer des rituels expiatoires pendant lesquels ils immolent ou bannissent des « boucs émissaires » qui focalisent sur eux tous les péchés du groupe, toutes ses dissensions. Contre le bouc-émissaire et grâce à lui le groupe se refédère, pour un temps au moins.
La pureté est la référence à une nature perdue par le groupe mais que sa foi en l’expiation déléguée permet de retrouver. En amont de la dite propension cyclique qui justifie le rituel nul ne s’interroge sur la nature, le « contenu » du concept « pureté ». Pas plus aujourd’hui qu’hier.
Traduction contemporaine de cet antique rituel : on adore, on idolâtre des héros du sport, de la politique, des médias, du spectacle (peu importe) puis, au-delà de leur gloire extrême on les porte au paroxysme de la publicité, non plus du fait de leur talent mais du fait d’un scandale qui soudain les fait passer de la gloire absolue au déshonneur absolu, à la seconde même où leur notoriété était au pinacle. Décidément, la roche Tarpeïenne est vraiment toujours aussi proche du Capitole que dans la Rome antique.
Objet d’idolâtrie numéro un : notre corps… notre corps éternellement sain et jeune et beau. Mais en fait, pas notre corps, mais mon corps. Ce n’est plus tellement le corps de l’autre qui compte et sur lequel s’ancreraient toute notre érotique, non ce qui importe, plus égoïstement, c’est le nôtre propre. Là est sans doute la grande mutation.
Que d’argent et de temps et de force et de courage nous mettons à bronzer, enduire, bouger, muscler, désengourdir, dégraisser, découenner, ce corps qui vieillit dès l’âge de vingt ans quand ce n’est pas avant (trop souvent sous l’influence des drogues dures ou douces, acides ou sucrées, avec ou sans alcool, inoculées ou inspirées)… seule une batterie d’artefacts et d’artifices peut lui donner la force, la pureté, la beauté de la … « nature ». Paradoxe ?
RE- devenez « naturels » ! Soyez « purs », volià le nouveau catharisme : pas plus « in » que la pureté d’un corps irréversiblement attiré vers son déclin que pourtant « je ne saurais voir » : moi et moi, indéfectiblement unis pour le miroir et pour le pire. Drame de la solitude si profondément « sociale » de cette loi du paraître que nous inflige la société des réseaux eux-aussi prétendument « sociaux ».
La science est devenue insensiblement un objet de mode. Il ne faut pas entendre par là qu’elle a eu des emballements puis des ralentissements, qu’elle a connu des culs-de-sac et des retournements multiples. Il ne s’agit pas de ces « modes » qu’elle aurait pu engendrer en son sein c’est-à -dire parmi ceux qui Å“uvrent pour l’enrichir. Non, ce qu’il faut entendre ici par « mode » tient au fait que d’objet d’admiration puis d’adulation la « Science » a suscité des conformismes de façade ; or que voulez-vous que soit un conformisme en matière de science sinon un conformisme d’expression, de discours, de vocables, de tout ce qui, sortant de son emploi et de sa destination (qui est en principe toute de rigueur) devient vite de simples tics de langage, quasiment dépourvus de contenu, de sens.