Des acquis ?
Le stage est supposé communiquer une expérience de terrain.
Donc il s’inscrit dans l’exercice pratique de certains « savoir-faire ».
Lesquels sont la mise en oeuvre de certains « savoirs ».
Savoirs qui, normalement ont été acquis dans un espace théorique (collège, lycée, université peu importe le niveau).
Mais cette expérience de terrain n’a de profit (n’est mémorisable, exploitable par la suite) que si elle est suivie d’une sorte de débriefing, analyse, commentaire critique, mise en perspective, distance etc.
C’est ce qui la rendrait « utile », ce qui l’inscrirait dans l’ordre du reproductible, du restituable … donc de la vraie expérience…et donc dans l’ordre des « ACQUIS ».
Par contre si tel n’est pas le cas (et ce n’est que très rarement que ce type de « débriefing » existe) il n’y a pas de réelle « acquisition ». Il n’y a, par contre, que perte de temps, illusion et le plus souvent apprentissage de la soumission-servitude.
Apprentissage … et pourtant ce mot recelait une belle richesse.
Stage vs apprentissage
Là déjà deux remarques s’imposent :
Avant la « mode » des stages, existait, depuis des siècles, la pratique de l’apprentissage, qui fut, fort intelligemment, perfectionnée par la méthode dite de l’enseignement en alternance :
Des phases théoriques alternent avec des phases pratiques ou techniques par « immersion » dans le concret.
Un « contrat » lie l’apprenti et son « maître » d’apprentissage. Un « contrat », oui, et non une « convention » – c’est très différent ne serait-ce qu’anthropologiquement – un contrat moral, juridique et parfois même un contrat d’estime réciproque lie les contractants.
Un rémunération aussi … selon les périodes de l’histoire.
Qu’apporte le stage ?
Rien ?
FAUX !
Pour l’entreprise :
Le stage apporte plusieurs choses : la gratuité intégrale pour « l’employeur » qui, d’ailleurs n’en est pas un puisque :
absence de cotisations sociales,
de charges patronales,
de cotisation retraites sécu et autres (et ce de la part des deux : stagiaire et entreprise)
CAR absence de « rémunération ».
On parle « d’indemnités », tel est le mot pudique qui recouvre les modestes subsides déboursées par la dite entreprise qui, en outre peut les défalquer comme frais de ses profits imposables.
Toute peine ne mérite visiblement pas « salaire » !
Le stage aide, légalement, l’entreprise à voler l’Etat, la société et … le stagiaire.
Côté encadrement, transmission de savoir-faire etc. :
Fort peu : en tout cas bien moins que ce que donnerait l’alternance de l’apprentissage. Bien au contraire même, car les tâches du stagiaire sont répétitives (parfois idiotes) et, dans le meilleur des cas – cela existe – le tour du problème est fait en quelques petites semaines au terme desquelles il pourrait parfaitement reprendre de « vraies » études théoriques.
C’est avéré (la plupart des stages se terminent avant le terme fixé dans la convention, par lassitude et dégoût du stagiaire qui s’en sort par un avenant qui, souvent, parvient à écourter la mascarade.
Certes, on le voit tous les jours, les entreprise qui ont tout à gagner à cette situation exercent un chantage odieux du type : « si tu restes moins de six mois pas de stage! » alors que même l’université ou l’école n’en demandaient que trois par exemple… Les étudiants qui le savent acceptent la convention à base six mois et demandent un avenant auquel l’entreprise ne peut pas s’opposer dès la fin des trois mois. (Ne serait-ce que pour trouver un emploi réellement rémunéré pendant les trois mois suivants).
Passé le deuxième mois on n’apprend strictement rien que ce soit en stage.
Pour le stagiaire :
Deux mois (sur six ou neuf ) de contact avec la réalité du terrain (comme on aime à dire).
Un lavage de cerveau qui le qualifie pour les tâches serviles auxquelles on le destine … ou pour l’alternance (mais pas du tout dans le sens de l’apprentissage) une autre alternance plus lugubre celle-là : chômage – petits boulots – chômage – recyclage en formation (pôle emploi oblige) – stages et stages et stages – chômage – petits boulots – retraite
Ainsi …
Le stage se ramène au-delà de deux mois environ à un somptueux cadeau fait aux entreprises pour qu’elles puissent tourner sans masse ou charges salariales dignes de ce nom. Nombre d’entreprises dites « de services » tournent aujourd’hui avec une demi-douzaine de permanents CDI ou CDD d’autant mieux rémunérés qu’ils encadrent un staff de plusieurs dizaines de stagiaires ; et cette pratique s’étend sans cesse.
Autre avantage (politico-médiatique) : le stagiaire n’est pas un chômeur – donc il tire les chiffres des statistiques à la baisse.
Le stagiaire est, on ne peut même pas dire « malgré lui » puisqu’il est souvent consentant, le suppôt du capitalisme le plus cynique que l’on ait jamais vu.
Nous le soulignions à l’instant : le stagiaire n’est même pas rémunéré, il n’est pas salarié (salaire plus cotisations à la solidarité des mécanismes civiques et sociaux) il reçoit ce que l’on appelait jadis chez les grands bourgeois des « gratifications » (sorte de pourboire très condescendant à la discrétion du maître).
Qu’il le subisse, passe encore mais qu’il en soit arrivé à supplier qu’on lui inflige cette humiliation, cette soumission et ce passage sous les fourches caudines ! Un pas a bel et bien été franchi.
Le lavage de cerveau à l’eau de droite néo-libéralo-capitaliste a parfaitement réussi.
Pire encore
nombre de situations observées à la loupe et particulièrement dans le cadre de « prestigieuses » institutions d’enseignement supérieur révèlent que les dites institutions, en guise « d’année universitaire » délivrent une minable approximation de savoirs théoriques déversés en tout hâte en quelque quatre mois (octobre-janvier) pour se débarrasser des étudiants-élèves-stagiaires dès février pour de longs longs mois de stages « obligatoires » … somptueux cadeaux aux entreprises …
A toutes les entreprises ? Vraiment ?
Mais non , bien sûr!!!
A celles qui renvoient l’ascenseur sous forme de taxe d’apprentissage fléchée spécifiquement pour l’institution en question.
Ce qui permet, entre autres, d’acquérir des équipements prestigieux, aussi somptueux qu’inutiles, hormis pour la « vitrine ».
Equipements dont l’inutilité est encore renforcée par leur honteux sous-emploi, puisque dans ce type d’établissement (ou de « composante » universitaire) l’activité est quasiment suspendue et l’enseignement académique totalement interrompu (huit mois sur douze !) de février à octobre :
période pendant laquelle les enseignants non seulement perçoivent leur salaire mais peuvent aller (ce dont ils ne se privent pas) enseigner ailleurs (à l’étranger bien souvent) et cumuler ainsi des revenus non négligeables.
Bien sûr cela est mis au compte du grand rayonnement de l’institution en question … of course.
Cette technique pourrait porter le nom bien mérité d’usurpation, voire de fraude sur le produit …
La Cour des comptes ne s’en émeut jamais : Tant que l’Etat perd des sous au profit du grand capital, tout va bien.
Tourner le dos au progrès
Nous l’évoquions plus haut : l’humain est ainsi fait qu’il ne peut mémoriser avec la même efficacité selon qu’il acquiert les savoirs de manière lente et réfléchie ou de manière hâtive, précipitée, concentrée.
Le bourrage des pédagogies intensives convient peut-être au bachotage (restitution servile à très courte échéance – psittacisme de l’ « élève » (grandes écoles incluses) mais en aucun cas à l’acquisition maîtrisée des savoirs susceptibles de se traduire de manière durable en compétences, facultés d’analyse, adaptabilité aux situations réelles etc. ce qui détermine la créativité, la capacité d’étudier (c’est-à -dire : d’être au plein sens du terme un étudiant et non un élève) et, partant, le progrès humain.
Le stage est cohérent avec une politique et une philosophie du profit immédiat qui renonce non seulement aux idéaux mais aussi aux investissements humains (aussi bien qu’économiques) à long terme.
Le stage tourne explicitement le dos au progrès :
A la grande différence de l’apprentissage, le stage n’est en aucun cas destiné à former de futurs ouvriers, artisans, employés etc. qui seraient, à l’avenir, susceptibles de devenir maîtres de leur art à leur tour.
Certes cet apprentissage idéal (surfait, dira-t-on, bien entendu) a, lui aussi été quelque peu trahi au cours des dernières décennies, mais il demeure néanmoins sous-jacent à la philosophie générale de la chose.
Le stage, lui, par contre, est très explicitement destiné à ancrer, sans appel, les pratiques de soumission-servitude dans les consciences.
Car…
l’enseignement (supérieur) de nos jours, s’il faut en croire les rêves éveillés de Mesdames les (ex-) Ministres de la République Lagarde et Pécresse, est appelé à se diviser en deux :
d’une part des lieux où l’on apprendra à diriger les autres (« grandes » écoles et prestigieux instituts ad hoc) établissements de moins en moins « publics » et de plus en plus « privés » ou « associés » ce qui veut dire en clair : directement en prise sur la haute finance (et le pouvoir politique dont on sait bien qu’il y prend ses ordres) ;
et d’autre part des lieux d’enseignement (secondaire et post-secondaire), des sortes de lycées d’enseignement supérieur (jadis appelés « universités ») qui produiront de soumis travailleurs-obéisseurs-constructeurs d’objets matériels ou immatériels de toute nature qui inonderont le marché …
en justifiant les revenus colossaux de ceux qui, issus de l’autre filière, n’auront jamais rien appris d’autre que :
- à commander (et non à fabriquer ou concevoir),
à se faire craindre (et non pas à « être respectés »),
à diriger (et non pas réellement à prendre des décisions, à « décider »).
Et tout ceci … jusqu’au jour où,
…à force d’incompétence, d’ivresse financière, d’illusion de pure impunité, de morgue, d’arrogance et de (très maladroit) tapage exubérant … la coupe venant à être pleine, les vrais « acteurs » de l’économie et de la société se mobiliseront (sans doute avec des formes encore jamais vues – douces mais irréversibles à la différence de ces soulèvements évolutionnaires d’antan, violents, ponctuels, qui retombaient tous dans les mêmes ornières, de manière « cyclique » (d’où leur nom bien mérité de « révolution » ou de chaises musicales…)
jusqu’au jour où … (et même si cette masse d’acteurs de la société devait demeurer abrutie et à continuer de quémander stages et humiliations) … le système financier d’abord, s’emballera, le système économique ensuite, se bloquera et le système politique pour finir, se crispera dans des positions de très forte répression.
En est-on bien éloigné ?
Si cette dernière phrase vous laisse de glace … sortez, allez dans la rue, rencontrez les gens les plus modestes possibles, les sdf, voyez et écoutez aussi et surtout les affreux, les zonards, les infréquentables, les moches, les sales, les pas sympas … écoutez-les (sans les craindre, ni les plaindre, ni les aimer non plus ! c’est tellement inutile et à la mode) ce sont eux qui s’en sortiront alors que les autres crèveront : ils ont, eux, déjà compris que la seule survie sera (est déjà beaucoup) dans l’économie parallèle, dans les structures sociales parallèles : nul besoin pour eux de les affubler du vocable pédant de « réseaux sociaux » !
Qui a dit que cet avenir était radieux ?
Qui l’aura produit ?
Cela aura-t-il été délibéré ou malencontreux ?