Charlotte BOHL
Le festival »Passages »: coopération transfrontalière Nancy-Luxembourg
Passages et Luxembourg capitale de la culture 2007
Le festival Passages : l’exemple d’une coopération transfrontalière Nancy-Luxembourg, dans le cadre de Luxembourg, Capitale européenne de la Culture 2007
Créé il y a douze ans au sein du Centre dramatique national (CDN) de Lorraine à Nancy, « Passages » est un festival cherchant à faire connaître en France l’état de la création théâtrale à l’Est de l’Europe. Pour la première fois en 2007, grâce à la Capitale européenne de la Culture, ce festival européen et international a traversé sa frontière la plus proche, en se tournant vers le Luxembourg. Une dizaine de spectacles se sont en effet déroulés dans différentes institutions culturelles de la ville de Luxembourg : au Grand-Théâtre de la Ville de Luxembourg, au Théâtre des Capucins, ainsi qu’au Centre Culturel de Rencontre de l’Abbaye de Neumünster, faisant de « Passages 2007 » une édition transfrontalière.
La coopération entre Nancy et Luxembourg dans le cadre de ce festival n’est certainement pas le premier projet auquel on pense lorsque l’on évoque « Luxembourg et la Grande Région, Capitale européenne de la Culture 2007 ». Cependant, cette collaboration était intéressante dans la mesure où elle répondait à un enjeu central du projet « Luxembourg 2007», à savoir profiter avant tout des forces vives déjà existantes dans les différents milieux artistiques de la Grande Région. En effet, cette coopération transfrontalière s’est faite en s’appuyant sur l’existant : un festival européen de théâtre, créé il y a plus de 10 ans et ayant une certaine renommée, ainsi qu’une structure phare du paysage culturel Luxembourgeois, à savoir le Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg.
Un projet, deux structures …
Or, ces deux structures ne se ressemblent pas. Le Grand-Théâtre est avant tout une structure de diffusion et d’accueil, véritable plaque tournante du théâtre européen accueillant les plus prestigieuses productions mondiales, tandis que le CDN de Nancy est une structure plus modeste ayant pour mission la diffusion mais surtout la création et l’aide à la création.
Motivée par la Capitale européenne de la Culture, cette coopération s’est faite grâce à l’existence d’une sensibilité artistique commune entre les deux directeurs de ces structures. Pour le Théâtre de la Manufacture (CDN de Nancy), cette collaboration transfrontalière devait permettre d’investir de nouveaux lieux de diffusion et donc donner une plus grande visibilité aux artistes invités, mais aussi de trouver de nouvelles possibilités en matière de financements et d’apporter ainsi une solution à la périphérie géographique du théâtre par rapport au territoire national français.
Pour le Grand théâtre et le Centre culturel de Rencontre de l’Abbaye de Neumünster, l’enjeu de cette collaboration était, entre autres, de profiter de l’expérience et du savoir-faire de la Manufacture pour montrer au Luxembourg une scène théâtrale différente. En effet, la direction artistique du festival Passages s’effectue, avec audace, loin des réseaux institutionnels, pour proposer un théâtre d’expérimentation et de recherche. Charles Tordjman, directeur de la Manufacture et ses collaborateurs explorent, voyagent, à la recherche du marginal, de l’insolent, du singulier et font de « Passages » une fenêtre ouverte sur le monde, un lieu de confrontation esthétique et de rencontre avec le public.
Aussi, l’intérêt de cette collaboration reposait sur une certaine complémentarité entre ces institutions et notamment sur le fait que les structures luxembourgeoises n’ont ni le temps, ni les équipes pour monter un projet tel que « Passages ». En revanche, elles exprimaient le besoin de prendre le risque d’amener leurs publics ailleurs, dans un contexte culturel au Luxembourg marqué par une inflation d’événements artistiques de grande qualité et une certaine saturation du public.
Grâce à cette initiative, le festival Passages a connu, en 2007, un développement incomparable. De 12 spectacles en 2005, la programmation est passée à 19 spectacles en 2007 et de 5 000 à 25 000 spectateurs. Cette édition a connu un véritable succès à Nancy et dans la région lorraine. Néanmoins, du côté luxembourgeois, le bilan est resté plus mitigé puisque les chiffres de fréquentation sont restés faibles. Une question se pose : comment susciter l’adhésion du public pour de nouvelles confrontations esthétiques et pour un projet transfrontalier ?
Savoir renouveler les pratiques institutionnelles
Au cours de nos entretiens, il est apparu que ces enjeux n’avaient pas été clarifiés en amont du projet. S’ils ont été exprimés par les porteurs de projets, ces besoins n’ont en fait pas été pensés en termes de partage des connaissances, de savoir-faire et de pratiques et ce notamment en matière de relations avec le public. Pourtant, le Théâtre de la Manufacture avait embauché une personne spécialement pour travailler sur cet aspect au Luxembourg.
Les échanges de savoir-faire et d’approche en matière de relations avec le public se sont révélés complexes car ils n’ont pas été pensés lors du montage du projet, mais aussi car il n’existe pas au Luxembourg, que ce soit Grand-Théâtre, à l’Abbaye de Neumünster, ou au Théâtre des Capucins, de personne qui soit spécifiquement et uniquement en charge des relations avec le public. Si l’on compare, par exemple, le Grand-Théâtre de Luxembourg avec le Théâtre du Rond-Point à Paris, qui ont à peu près la même envergure, on remarque que le service des relations avec le public compte 19 personnes au Théâtre du Rond-Point, contre 3 seulement au Grand-Théâtre. Cet écart en termes de ressources humaines reflète l’existence de conceptions différentes en France et au Luxembourg où l’on parle de « relations publiques », mais pas de « relation avec le(s) public(s) ».
Traduire les enjeux de cette coopération transfrontalière en termes de projet de structure n’aurait certes pas changé les particularités du secteur culturel luxembourgeois. Cependant, cela aurait permis d’optimiser cette expérience : dans un premier temps, la chargée des relations avec le public de « Passages » aurait pu appréhender plus rapidement les spécificités du public luxembourgeois, grâce à l’expérience du Grand-Théâtre et mieux identifier les lieux et les nouveaux publics potentiels et, dans un deuxième temps, le Grand-Théâtre, aurait pu bénéficier de cette recherche de nouveaux publics menée par la Manufacture et en capitaliser les acquis.
La Capitale européenne de la Culture 2007 a eu néanmoins le grand mérite d’offrir aux acteurs culturels de la Grande Région un cadre d’expérimentation et de donner l’impulsion nécessaire pour « sauter le pas » et se tourner enfin vers le voisin. Cependant, dans le cas de « Passages 2007 », elle a autorisé indirectement les structures impliquées à se reposer sur le concept de la Capitale européenne pour justifier leur collaboration au lieu de déterminer les enjeux réels d’une telle initiative. Or cet événement culturel européen ne peut remplacer ou fonder la nécessité de travailler avec son voisin. Ces besoins existent et les différences d’approches en matière d’action culturelle et de relations avec le public peuvent constituer un point d’ancrage pour enrichir les échanges transfrontaliers entre la France et le Luxembourg. Le problème est d’arriver à articuler les projets à différents niveaux stratégiques (structurel et sectoriel) dans une perspective de développement à long terme et de transformation des pratiques.
Le transfrontalier, un défi réalisable ?
Lors de nos divers entretiens, nous avons par ailleurs constaté que le bilan de cette coopération n’avait pas été fait. Dans un contexte d’urgence, où l’on va de projet en projet, on oublie parfois le moment de l’évaluation. Or, si l’objectif de la Capitale européenne de la Culture 2007 était de mettre en valeur les dynamiques existantes de la Grande Région, l’enjeu était aussi de créer un réseau d’acteurs culturels qui continue de vivre après Luxembourg 2007.
Dans le cas de « Passages », assez rapidement après l’édition 2007, l’idée de créer une structure transfrontalière indépendante est apparue. Cette initiative aurait permis, d’une part, d’externaliser le festival et de le rendre indépendant du CDN, et d’autre part, d’imaginer la possibilité de devenir éligible à des financements européens et de dépasser le cadre bilatéral de la coopération transfrontalière.
Malheureusement, l’argent nécessaire à la création de cette structure n’a pas été réuni et ce notamment car le Théâtre de la Manufacture a eu des difficultés à mobiliser ses administrations de tutelle en Lorraine. Cette perspective a finalement échoué car à ce manque de volonté politique s’est ajouté, du côté luxembourgeois, non seulement un certain ressentiment au regard du faible investissement de la Lorraine pour le projet de « Luxembourg 2007 », mais encore une certaine hésitation en raison du succès relatif de « Passages » au Luxembourg et l’absence d’analyse critique de cette expérience.
Finalement, la coopération transfrontalière entre l CDN de Nancy et le Grand-Théâtre prend pour l’instant des allures de coproduction internationale. Le Grand Théâtre a accueilli le dernier spectacle de Charles Tordjman et produira un projet monté avec les Chinois de l’Opéra de Chengdu (artistes découverts lors de Passages 2007, projet dont Charles Tordjman assurera la mise en scène.
La Manufacture accueillera, par ailleurs, une jeune artiste Luxembourgeoise pour répondre à une volonté partagée d’aider la jeune création. Mais on imagine aisément que cette démarche transfrontalière ne survivra pas aux départs de ces directeurs de structures, au même titre que le festival Passages ne survivra pas au départ de Charles Tordjman, s’il n’est pas autonomisé.
Au-delà même du problème de pérennisation de ces échanges transfrontaliers, la question du financement de « Passages » est devenue cruciale après 2007. Le désengagement massif de l’État français dans le secteur de la culture qui s’est soldé par une coupe budgétaire de la subvention fléchée sur « Passages » de 55 % pour 2009 et le non-renouvellement de cette expérience transfrontalière impose en effet un retour à un budget 3 fois inférieur à celui atteint lors de l’année culturelle et pose sérieusement la question du maintien du projet.
La capitale européenne, en donnant au festival Passages une nouvelle ampleur et la possibilité d’imaginer un avenir d’envergure eurorégionale, a rendu finalement la question de son avenir et son développement et même de sa survie encore plus pressante et complexe. Et pourtant, faire de « Passages » un festival de théâtre phare de la Grande Région permettrait de contribuer au développement et à l’attractivité du territoire et d’apporter une réponse pertinente besoin de créer un sentiment d’appartenance à la Grande région en proposant un espace de rencontre et d’ouverture, cosmopolite et interculturel, une ouverture au proche voisin d’abord mais aussi un passage vers d’autres cultures.
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